- MYCÈNES
- MYCÈNESLe récit homérique et son illustration par les premières fouilles de Schliemann ont valu à Mycènes de donner son nom à la civilisation qui s’épanouit dans le Péloponnèse, en Grèce centrale et en Thessalie durant la période baptisée Helladique récent (1550-1050 av. J.-C.). À juste titre, car c’est à Mycènes, plus encore qu’à Troie, que Schliemann a jeté les bases de l’archéologie du monde égéen préhistorique. Mycènes «riche en or», comme le chantait Homère, était bien une réalité. Mais cette réalité si brillante, avec les ors, les armes et les parures des premiers tombeaux découverts par Schliemann, avec les remparts cyclopéens et les tombes monumentales en forme de tholos , ne va pas cesser, pendant près d’un siècle, d’occulter les autres visages de la Grèce mycénienne.Le siteAu nord-est de la plaine de l’Argolide, à moins de 15 km de la mer, se dresse une éminence rocheuse, haute d’une cinquantaine de mètres. Cette butte, encadrée de deux montagnes escarpées, l’Haghios Ilias et le Zara, se trouve isolée d’une part par le ravin du Chavos au sud, d’autre part par ses pentes est et nord, relativement abruptes. La route actuelle qui conduit au site suit la seule voie d’accès naturelle, du côté ouest. Le site ancien s’étend à la fois sur cette éminence, qui, une fois entourée de remparts, deviendra une puissante citadelle, et sur les contreforts voisins dans lesquels on a découvert de nombreuses tombes et des vestiges de l’habitat. Mycènes commande plus ou moins directement les routes nord-sud, entre le golfe d’Argolide et l’isthme de Corinthe; il permet aussi un contrôle de la plaine et de ses richesses agricoles.Histoire des fouillesDu premier dégagement de la porte des Lions, en 1841, au lendemain de l’indépendance du pays, sous les auspices de la Société archéologique d’Athènes, jusqu’à la construction d’un musée, sur le site même, les activités archéologiques à Mycènes ont eu une histoire mouvementée. Heinrich Schliemann fouilla, entre 1874 et 1876, les tombes du cercle A et dégagea plusieurs bâtiments autour de la porte des Lions. De 1886 à 1906, l’archéologue grec Christos Tsountas pratiqua des fouilles extensives sur l’acropole et mit au jour près de cent cinquante tombes dans la ville basse. Juste après la Première Guerre mondiale, puis de nouveau entre 1950 et 1956, le Britannique Alan J. B. Wace fouilla de nouvelles tombes et plusieurs secteurs de la ville basse. La découverte fortuite, en 1951, par Ioannis Papadimitriou d’un second cercle de tombes marque un tournant de la recherche à Mycènes. Peu de temps après, Georges E. Mylonas commence à travailler sur le site; il publie le cercle B, reprend l’étude des fortifications et dégage de nouveaux secteurs sur l’acropole, tandis qu’une équipe britannique, dirigée par lord William Taylour, se consacre essentiellement à la fouille du «centre cultuel». Les travaux sur le terrain, interrompus en 1975, ont repris en 1984, sous la direction de George E. Mylonas (1898-1988) et de Spyridon E. Iakovidis.L’habitatSur le site, on distingue nettement deux zones habitées: la «ville basse» et l’acropole. Dans l’un et l’autre cas, les constructions datant du Néolithique récent (env. 4000-3000 av. J.-C.) et des premières phases de l’âge du Bronze, dénommées Helladique ancien (env. 3000-2000) et Helladique moyen (env. 2000-1550), n’ont laissé que des traces fugaces.En ce qui concerne la «ville basse», on admet généralement que l’extension des nécropoles correspond à celle de l’habitat de l’époque mycénienne. Or quatorze édifices seulement ont été fouillés, dans un périmètre relativement restreint; ils datent presque tous du XIIIe siècle, c’est-à-dire des dernières phases de la période. Ces vestiges ne permettent ni de décrire la situation antérieure, ni de se représenter l’ensemble du site.Un premier quartier (a) a été fouillé à l’ouest de la route moderne et à 50 m au nord du trésor d’Atrée (tholos no 8), dont il est contemporain. Un mur de soutènement retient les terres du versant et protège trois édifices. Le matériel découvert autorise à y voir des maisons ordinaires.Deux cents mètres plus au nord, quatre édifices portent des noms consacrés: maisons du marchand d’huile, des sphinx, des boucliers, et ouest (b). Le premier édifice tire son nom des nombreuses jarres de stockage et de transport d’huile qu’il contenait, les maisons des sphinx et des boucliers de la forme ou du décor des fragments d’ivoire qui y furent trouvés. Ces édifices se distinguent par des dimensions rarement atteintes à l’époque mycénienne: entre 22 m et 35 m de longueur. Il est désormais acquis que les documents inscrits en linéaire B – tablettes et scellés – qu’on y a retrouvés s’apparentent aux documents comptables des palais de Knossos et de Pylos; les fragments d’ivoire servaient à des ateliers placés sous l’autorité palatiale. Ces édifices ont donc joué un rôle artisanal et économique important. D’autres bâtiments, dont la fonction pourrait être analogue, ont été dégagés au nord du site.Jusqu’aux environs de 1350, l’acropole reste non fortifiée. Le premier rempart n’entourait que le sommet de l’éminence rocheuse. Un siècle plus tard, l’aire fortifiée s’agrandit considérablement: elle englobe désormais le cercle A, doté d’une nouvelle enceinte, et tout le quartier sud-ouest. Vers la fin du XIIIe siècle, le tracé du rempart est à nouveau modifié par l’adjonction de l’extension nord-est. Ainsi, à la fin de l’époque mycénienne, 900 m de murs, percés de trois portes, entourent une aire de 30 000 m2. L’épaisseur des murs est en moyenne de 5 ou 6 m, mais elle peut atteindre 8 m. La hauteur maximale des murs conservés est de 8 m, mais on estime que les remparts s’élevaient à une douzaine de mètres de haut. Le rempart mycénien est construit selon deux procédés: des assises horizontales, plus ou moins régulières, en conglomérat pour la porte des Lions, la porte Nord et pour une saillie en forme de tour au sud-est; un appareil dit cyclopéen, c’est-à-dire constitué de gros blocs non travaillés et calés par de petites pierres, pour le reste de la fortification. Certaines sections du rempart ont été réparées, au IIIe siècle avant J.-C., en appareil polygonal. La porte des Lions (1) – 3,10 m de haut 憐 2,80 m de large, au niveau du seuil – se dresse au nord-ouest de l’acropole. Son seuil et son linteau pèsent chacun plus de vingt tonnes; les montants sont moins massifs. Au-dessus du linteau, les assises supérieures du rempart forment un triangle de décharge qui reporte leur poids sur les côtés de la porte. Ce triangle est occupé par une mince dalle de calcaire qui porte, sculptée en relief, la représentation de deux animaux affrontés de part et d’autre d’une colonne. Au-dessus de corps léonins étaient fixées des têtes en pierre, en métal ou en bois. On s’interroge encore sur l’identité des animaux – lions ou animaux composites – et sur la signification de la colonne – palais, citadelle ou divinité.À l’intérieur du rempart, les abords du cercle A (2), le «centre cultuel» (3) et le quartier sud-ouest (4) forment une zone à part. En effet, 35 m de dénivellation les séparent du sommet de l’acropole. Des côtés oriental et septentrional, la pente reste sensible: le sommet de l’acropole se situe 12 m plus haut que l’entrée de la maison aux colonnes (7) et 30 m plus haut que le niveau moyen de l’extension nord-est (8) et de la maison M (10).Au XIIIe siècle, une fois franchie la porte des Lions, on pouvait soit continuer tout droit et gravir une grande rampe en direction du palais, soit contourner le cercle A le long du rempart pour parvenir au «centre cultuel» (3). L’analyse architecturale fait clairement apparaître l’unité de cette zone. Mais la dénomination «centre cultuel», qui lui est couramment appliquée, doit être maniée avec précaution. Certes, deux groupes de pièces, la «maison aux idoles» et la «maison de la fresque», se distinguent par des aménagements, une décoration et un matériel peu habituels: des serpents et des statuettes féminines en terre cuite, des ivoires, ainsi qu’une fresque représentant peut-être deux divinités. Ces éléments permettent de supposer l’existence de lieux de culte dans ces bâtiments, mais nullement d’étendre cette fonction à l’ensemble de la zone considérée. Un escalier, dont une trentaine de marches sont conservées le long d’un caniveau aboutissant au rempart, sépare ce secteur du quartier sud-ouest (4). Là, les édifices sont souvent séparés les uns des autres par des escaliers et des caniveaux perpendiculaires au rempart.Le sommet de l’acropole est occupé par un grand bâtiment (5) que son plan apparente très étroitement aux palais découverts à Tirynthe et à Pylos. Il ne subsiste presque rien des murs construits sur la terrasse supérieure, mis à mal par les édifices postérieurs, en particulier par le temple dédié à Athéna, ou emportés par le ruissellement. D’autre part, tout le côté sud de l’unité centrale, qui s’était écroulé dans le ravin, a été restauré à l’époque moderne. L’entrée principale de l’édifice se situe au nord-ouest. Le grand escalier installé au sud-ouest représente une addition tardive. Comme à Tirynthe et à Pylos, l’unité centrale comporte un porche à deux colonnes, un vestibule et une grande pièce mesurant 13 m 憐 11,50 m. Des dalles de gypse forment une bordure le long des murs, la partie centrale du sol étant recouverte d’un enduit peint. Un foyer, d’environ 3,70 m de diamètre, occupe le centre de la pièce; il est entouré de quatre colonnes. Les murs étaient ornés de fresques. Les fouilles ont démontré que tout le secteur compris entre ces vestiges et l’extension nord-est forme une unité. Il s’agit, d’une part, d’ateliers (6), où s’effectuait le travail de l’ivoire et de pierres semi-précieuses, d’autre part, d’entrepôts situés en particulier au sous-sol de l’édifice appelé maison aux colonnes (7).L’extension nord-est (8) abrite l’accès à une citerne souterraine (9) construite à 18 m environ sous la surface du sol et à une quarantaine de mètres à l’extérieur des murs. Cette citerne était reliée par un réseau de canalisations à une source située à 400 m de là. Trois volées de marches – en tout une centaine – sous une voûte en forme de V renversé y donnent accès.Les tombesLes deux cercles de tombes, A et B, installés de part et d’autre du «cimetière préhistorique», permettent de suivre les innovations et l’enrichissement qui caractérisent la période de transition entre l’Helladique moyen et l’époque mycénienne. Le type de tombe qu’ils abritent sert parfois à caractériser cette période, puisque l’on parle de l’époque des «tombes à fosse». De fait, la majorité des tombes du cercle B et toutes celles du cercle A se présentent comme des puits rectangulaires creusés dans le rocher. Le sol de la tombe est recouvert d’un cailloutis, les parois sont doublées de moellons; au-dessus, on trouve des dalles de schiste ou une couverture végétale. Une fois la fosse remblayée, son emplacement se trouve parfois marqué par une stèle en calcaire sculptée. Chaque groupe de tombes était entouré d’un mur circulaire d’environ 27 m de diamètre; le double anneau de plaques rectangulaires posées de chant autour du cercle A résulte d’un remaniement tardif (cf. monde ÉGÉEN). La plupart des tombes contenaient plusieurs squelettes – jusqu’à cinq – et avaient été rouvertes à plusieurs reprises. Les vases en terre cuite et les armes en bronze composaient l’essentiel du mobilier associé aux vingt-quatre tombes du cercle B (1650-1550). On note cependant, dans les tombes les plus récentes, la présence de quelques vases métalliques, d’éléments de parure en or et de trois objets remarquables: un masque en or blanc, un sceau en améthyste portant la représentation d’un homme barbu et une tasse en cristal de roche dont l’anse est sculptée en forme de tête de canard (cf. monde ÉGÉEN, Pl. III). Dans les tombes les plus riches du cercle A (1600-1500), qui sont aussi les plus récentes, le mobilier est beaucoup plus varié. Quelques cadavres avaient le visage recouvert d’un masque en or. Les vases et les bijoux en or, les épées en bronze aux pommeaux d’or et d’ivoire, les poignards à lame incrustée d’or et d’argent s’y comptent par dizaines, les ornements en or, en faïence ou en ambre par centaines. On a calculé que quinze kilos d’or ont été ainsi accumulés.À partir du XVe siècle, les tombes à chambre circulaire construite en encorbellement, les tholoi , font leur apparition à Mycènes. Cette forme architecturale, élaborée dans le sud-ouest du Péloponnèse depuis la fin de l’Helladique moyen, va connaître ici un développement remarquable. Les neuf exemplaires de Mycènes – numérotés d’après leur ordre chronologique approximatif – permettent de suivre les progrès techniques accomplis par les architectes. Les tholoi les plus anciennes ont une chambre de 8 m de diamètre et un couloir d’accès – dromos – d’une douzaine de mètres de long (nos 1 et 4, par exemple). Dans les plus récentes, comme celles que la tradition a baptisées «trésor d’Atrée» (no 8) et «tombe de Clytemnestre» (no 9), le diamètre de la chambre peut atteindre 14,50 m et la longueur du dromos 37 m; d’énormes monolithes sont disposés en linteau au-dessus de l’entrée dont les côtés sont richement décorés. Un tumulus, constitué de terre, de pierres et d’argile, protège l’ensemble de la tombe. Toutes les tholoi de Mycènes avaient été pillées dès l’Antiquité.À Mycènes, la plupart des autres tombes en usage à la même époque ont leur dromos et leur chambre simplement taillés dans le rocher. Près de deux cents de ces tombes à chambre ont été fouillées, malheureusement de façon rarement méthodique, de sorte que l’on peut décrire le matériel, souvent riche, entassé dans ces tombes, mais non l’attribuer aux différents individus inhumés. Les principaux groupes se situent à l’ouest du site.On a parfois supposé que les tombes à fosse et les neuf tholoi étaient les tombes des souverains successifs de Mycènes, tandis que les tombes à chambre auraient été réservées aux catégories sociales inférieures. En fait, le caractère exceptionnel des tombes à fosse, le pillage des tholoi et enfin les connaissances lacunaires qu’ont les chercheurs des tombes à chambre n’autorisent guère de telles conclusions.Mycènes et la GrèceAprès plus d’un siècle de recherches archéologiques, il reste difficile d’inscrire l’histoire de Mycènes dans celle du monde égéen préhistorique. Le sud-ouest du Péloponnèse pourrait avoir joué un rôle plus important que l’Argolide dans la naissance de la civilisation mycénienne, entre la fin du XVIIe et la fin du XVIe siècle, marquée par l’enrichissement des communautés continentales et par leur plus grande ouverture aux influences extérieures. Les tombes à fosse de Mycènes et les trésors qu’elles renferment demeurent même relativement isolés.Les différentes destructions qui affectent le site à partir du milieu du XIIIe siècle ne sont pas d’une interprétation plus aisée. La première, vers 1250, est attribuée à un violent tremblement de terre. Les traces de cette catastrophe sont particulièrement visibles dans le «centre cultuel» et dans certains édifices de la ville basse. De nouvelles destructions interviennent vers 1200, mais n’entraînent pas un abandon du site, comme c’est le cas, par exemple, à Pylos. Au contraire, la période suivante, jusque vers la fin du XIIe siècle, apparaît encore comme une période d’occupation assez dense à l’intérieur de la zone fortifiée. Cependant, l’organisation économico-politique et certaines productions artisanales, auxquelles le palais présidait, ont disparu. Ces événements ne semblent pas dus à une invasion qui aurait déferlé sur le continent, mais plutôt à un délabrement général du système économique et des échanges commerciaux provoquant, ou accompagnant, des tensions internes, peut-être violentes.De la même façon, le rôle de Mycènes au sein de la Grèce reste discuté. Les légendes et le récit homérique présentent Agamemnon, roi de Mycènes, comme le chef des Grecs coalisés contre Troie. Mycènes aurait donc été la capitale d’une Grèce unifiée et y aurait exercé une influence déterminante. Certes l’homogénéité culturelle de la Grèce à l’époque mycénienne apparaît tout à fait remarquable: du sud du Péloponnèse jusqu’au moins en Béotie, on parle la même langue, le grec, le cadre politique et économique, les productions artisanales, les coutumes funéraires, les rites et les croyances se révèlent identiques. Mais cette homogénéité n’atteste nullement l’influence d’un centre unique. De fait, il reste très malaisé d’établir une hiérarchie entre les différentes régions de la Grèce mycénienne, voire entre les sites d’une même région. Ainsi Pylos en Messénie, Thèbes en Béotie, et même Tirynthe en Argolide, à moins de 20 km de Mycènes, ont pu, selon les circonstances, jouer un rôle économique, culturel et politique aussi déterminant que celui de Mycènes. Le «trésor d’Atrée» a son exact parallèle à Orchomène de Béotie. Les remparts de Gla (Béotie) ou de Tirynthe, les ivoires et l’orfèvrerie de Thèbes ne le cèdent en rien à ceux de Mycènes. Néanmoins, la réunion de tous ces éléments sur un même site et leur découverte à l’aube des Temps modernes demeurent un cas extraordinaire dans l’histoire de l’archéologie.Mycènes(en gr. Mykênai ou Mikínes) anc. ville de Grèce au N.-E. d'Argos (Argolide), royaume d'Atrée, puis d'Agamemnon. Créée au IIIe millénaire, la bourgade reçut au déb. du IIe millénaire une pop. achéenne (grecque) qui, sous l'influence crétoise, développa une civilisation brillante (XVIe-XIIIe s. av. J.-C.) que l'invasion dorienne détruisit brutalement v. 1200 av. J.-C. à partir de 1876, l'Allemand H. Schliemann mit au jour ses ruines: trésor d'Atrée (v. 1330 av. J.-C.), vaste salle funéraire de plan circulaire, à la très haute coupole conique; porte des Lionnes (v. 1300-1200 av. J.-C.); acropole, etc.
Encyclopédie Universelle. 2012.